La photo du lac : il m’a attendue pendant huit ans
À 29 ans, elle pensait avoir trouvé un équilibre : sa solitude, ses rituels, son studio parisien en hauteur. L’amour, elle n’y croyait plus. Juste une idée romantique, vague, usée. Jusqu’à ce qu’une photo glissée sous sa porte vienne réveiller un souvenir flou, presque irréel : un regard, un été, un homme disparu. Mais cette photo n’est pas un souvenir comme les autres. Elle n’est pas ancienne. Elle est impossible. Et ce qu’elle va découvrir pourrait bien tout faire vaciller.

Le calme avant l’étrange
Je vis seule depuis des années, et ça me va. Mon appartement est petit, baigné d’une lumière douce, rempli de livres, de tasses de thé oubliées et de disques de jazz. J’ai appris à aimer l’absence d’attente. Plus personne ne m’appelle en pleine nuit, plus personne ne laisse ses chaussettes dans mon lit. Et l’amour ? J’ai cessé d’y croire. Ce n’est pas que je l’ai rejeté, c’est juste qu’il ne m’a jamais vraiment trouvée. J’ai connu quelques histoires, des débuts prometteurs, des fins prévisibles. J’ai vite compris que je préférais la constance à l’intensité passagère. Et puis un soir, ce dimanche précisément, tout a changé. Il était 19h, je venais de sortir de la douche, quand j’ai remarqué une ombre sous ma porte d’entrée. Une enveloppe ? Non. Une simple photo. Pas glissée par la poste. Déposée à la main. Lentement. Délibérément.
Une image qui défie la mémoire
Je l’ai ramassée sans trop y penser, pensant à une publicité, un prospectus. Mais en voyant l’image, j’ai eu un vertige. On y voit deux personnes au bord d’un lac. Moi. Et un homme. Je suis assise, un foulard rouge dans les cheveux, les pieds dans l’eau, en train de rire. L’homme me regarde. Intensément. Comme s’il me connaissait depuis toujours. Je ne me souviens pas de cette scène. Et pourtant, cette atmosphère, ce cadre… ils me sont familiers. J’ai retourné la photo. Au dos, écrit à la main : « 15 juillet 2016 – Lac d’Annecy. Tu m’avais promis qu’on se retrouverait ici. C’est moi qui t’ai attendue. — G. » Mon cœur s’est mis à cogner. J’ai 29 ans aujourd’hui. En 2016, j’en avais 20. Cette année-là, j’étais partie seule en voyage. Un été doux, rempli de silences et de rencontres éphémères. Je me souvenais d’un garçon. Gabriel, peut-être ? Un prénom qui me revient comme une brume. Une voix grave, une nuit claire, une promesse. Mais je ne me souvenais pas de cette photo. Je n’ai aucun souvenir qu’elle ait été prise. Ni qu’il soit resté plus d’une nuit.
L’obsession s’installe
Je suis restée plantée là, dans mon couloir, une heure au moins, à fixer l’image comme si elle allait me parler. Puis j’ai passé ma nuit à fouiller. Mes vieux mails, mes anciens comptes, mes photos supprimées, mes discussions WhatsApp. Rien. Aucune trace de Gabriel. Aucun cliché similaire. Personne ne semble se souvenir de lui, pas même mes amis à qui j’ai timidement posé la question le lendemain. Et pourtant, cette photo existe. Et quelqu’un l’a déposée sous ma porte. Pourquoi maintenant ? Pourquoi après huit ans ? Qui m’observe ? Est-ce une coïncidence, une mauvaise blague ? Mon esprit me souffle autre chose. Une envie qui monte. Un besoin irrépressible de savoir. De comprendre. De revenir là où tout a peut-être commencé.
Le banc, la mousse, et l’absence
Le surlendemain, je prends un billet pour Annecy. Arrivée la veille du 15 juillet, je loge dans un petit hôtel au bord du lac. La nuit est courte, hachée de souvenirs incertains. À l’aube, je m’habille en vitesse et je me rends au lieu exact où, d’après la photo, elle avait été prise. Le banc est là. En pierre. Recouvert de mousse. Et au milieu du bois gravé, presque effacé, je lis ces lettres : “G & E”. Mon cœur se serre. J’attends. Je regarde les passants. Je scrute chaque silhouette. Le vent souffle doucement sur l’eau. Je reste deux heures. Trois. Personne. Je finis par me lever. J’ai préparé un petit mot, juste au cas où. Je le glisse sous un galet sur le banc. “J’y étais. Peut-être trop tard. Peut-être trop tôt. Mais j’y étais.”
Une trace dans l’ombre
Dans le train du retour, mon téléphone vibre. Un numéro inconnu. Un SMS, court. “Tu es encore plus belle qu’à 20 ans. Je t’ai vue ce matin. Mais je n’ai pas osé. — G.” Mon sang se glace. Il était là. Il m’a vue. Et moi, je ne l’ai pas reconnu. J’envoie un message : “Pourquoi maintenant ?” Pas de réponse. Je passe les deux jours suivants à guetter mon téléphone. Rien. Puis, une nuit, à 3h23, un froissement. Un bruit à peine perceptible, juste derrière ma porte d’entrée. Je me lève. Je n’ose pas ouvrir tout de suite. Quand je le fais, il n’y a personne. Juste un nouveau papier, collé avec un morceau de ruban adhésif. Quelques mots tracés à l’encre bleue, reconnaissable. “Parce que tu n’étais pas prête. Et moi non plus. Maintenant, peut-être que si.”
Et parfois, il suffit d’un détail…
Je ne sais pas s’il reviendra. Je ne sais même pas s’il existe encore vraiment. Peut-être n’est-il qu’un fantôme du passé. Peut-être est-il en chair et en os, à quelques rues de chez moi. Mais une chose est certaine : je ne suis plus la même. Depuis cette photo, depuis ce message, depuis ce banc. Quelque chose s’est réouvert. Quelque chose que je croyais avoir verrouillé à double tour. Ce n’est peut-être pas le début d’une histoire. Ni la fin. Juste une faille. Une fissure. Par laquelle entre à nouveau la possibilité d’être bouleversée.
Et parfois, il suffit d’un détail… pour réveiller tout ce qu’on croyait oublié.