« Macron estime avoir toujours raison » Vous le croyez ça ?Lisez l’article !!

Pour le politologue Roland Cayrol, le principal problème du macronisme est l’oubli du citoyen, le mépris pour le non-sachant.

En marge du Congrès de cet après-midi, le politologue et essayiste Roland Cayrol* s’interroge, pour L’Express, sur la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron, faite de « vision technocratique et impériale » et d' »oubli du citoyen ».

A quelle pratique du pouvoir présidentiel correspond, selon vous, la réforme constitutionnelle présentée aujourd’hui, en Congrès, à Versailles?

 Il y avait, dans la promesse présidentielle d’Emmanuel Macron, un volet qui n’a pas du tout été respecté, et qui tenait à sa volonté d’un rassemblement non partisan de toutes les bonnes volontés, avec des accents de la deuxième gauche, empruntés notamment à la sensibilité rocardienne.

C’est-à-dire?

Je pense notamment à son leitmotiv lors des meetings : « Tous ensemble », « C’est notre projet ». En héritier des idéaux démocratiques de la deuxième gauche, le candidat d’En marche semblait se faire le porte-voix d’une volonté de démocratie citoyenne. Or, un an et quelques semaines après, cette ambition a laissé la place à l’exercice désentravé de la décision jupitérienne.

Cela vous déçoit?

Disons que cela interroge l’analyste politique que je suis. Aujourd’hui, la gouvernance de Macron est formée d’une série de mesures technocratiques pour « réparer la France ».

C’est plutôt positif, non?

Emmanuel Macron est incontestablement brillant, il privilégie toujours l’efficacité et maîtrise parfaitement ses dossiers. Cette très bonne connaissance l’autorise à adopter une certaine condescendance vis-à-vis de ceux qui les connaissent moins bien. Il pense volontiers que, quoi qu’il arrive, c’est toujours lui, en vertu de ses qualités, qui aura raison. D’où un fonctionnement des institutions reflétant une forte tendance à oublier l’ensemble des corps intermédiaires, nationaux ou locaux, les associations, et même les syndicats réformistes, a priori très proches. La révision constitutionnelle s’inscrit donc dans une optique d’amélioration minimale de l’efficacité du fonctionnement quotidien des institutions; à aucun moment n’est, en revanche, prise en compte une aspiration à un rééquilibrage des pouvoirs – aspiration profonde et ancienne, qu’attestent toutes les enquêtes d’opinion depuis une trentaine d’années. Certes, la plupart des Français ne sont pas férus du débat constitutionnel. Néanmoins, ils tiennent toujours : 1. / à l’élection présidentielle au suffrage universel; 2./ au renforcement des pouvoirs du Parlement. Le macronisme ignore ce souhait.

Arrive-t-il à Emmanuel Macron ce qui est arrivé, en son temps, à François Mitterrand, contempteur virulent du « coup d’Etat permanent » lorsqu’il était dans l’opposition, hyperprésident une fois à l’Elysée?

Oui, cela y ressemble… Pour un président, les institutions de la Vème République sont extrêmement confortables. Car elles le mettent par définition à l’abri des remous du débat démocratique. Aujourd’hui, le principal problème du macronisme n’est pas l’abandon supposé des objectifs de la gauche en matière sociale ; il n’est pas d’avoir laissé s’affaisser le flanc « progressiste » de sa majorité ; il est bien davantage l’oubli du citoyen et le mépris technocratique pour le non sachant. Or, on ne change pas une société par décret, comme le disait Michel Crozier. La vision trop technocratique et trop impériale du pouvoir nourrie par Macron paralyse les capacités transformatrices. Des mesures améliorant l’efficacité des mécanismes ne sauraient suffire à modifier le pays; il faut réellement que les gens, et ceux qui les représentent, soient au coeur du changement. Nul ne peut changer la société sans son concours : c’est ce que nous rappelle la tradition intellectuelle qui existe depuis Tocqueville.

Vu des macroniens, il était nécessaire de contourner l’inertie des notables. Qu’en pensez-vous?

Pourquoi pas, je n’ai rien contre… Si le pouvoir actuel ne s’en prenait qu’aux notables encrassés, dont le seul objectif est de préserver leurs acquis, il n’y aurait, au fond, rien à redire. Mais il va bien plus loin. Il met en cause l’ensemble des pouvoirs régionaux et locaux, les élus et le mouvement associatif, et les syndicats, notamment la CFDT, qui ne réclame qu’une chose – sa participation aux changements. Plus largement, il instabilise tous ceux qui, dans la société, se montrent disponibles à la réforme et souhaitent très concrètement agir. Faisant « tout seul », le pouvoir risque de ne pas faire avec la société. Et d’ignorer cette culture du compromis qui implique le débat permanent, auquel Rocard était très attaché.

Rocard, justement, se réclamait de la politique des « petits pas ». Quels ont été, depuis Chirac, son condisciple et son contemporain, jusqu’à Macron, les principaux styles de gouvernance?

Depuis que la Vème République existe, tous les fils du pouvoir conduisent à l’Elysée. L’exécutif fut toujours fortement dominé par les décisions élyséennes. Jacques Chirac, roi fainéant dans toute sa splendeur, s’était sorti du problème en faisant peu et en reculant chaque fois qu’un risque de blocage se présentait. Nicolas Sarkozy voulait bousculer tous azimuts et proclamait « On va voir ce qu’on va voir ». Moyennant quoi, il a souvent donné l’impression de louvoyer entre plusieurs caps stratégiques incompatibles. Macron, qui donne incontestablement le sentiment qu’il y a un pilote dans l’avion, montre, en revanche, le plus grand désintérêt pour les passagers. Et il tend encore plus le fonctionnement des institutions.

Le surplomb technocratique marque donc, selon vous, la conception macronienne de la présidence. Quelle place faut-il faire à une composante plus psychologique, le narcissisme?

L’émerveillement qu’Emmanuel Macron a visiblement de lui-même est évident. A la lumière de son parcours, en effet exceptionnel, il se pense comme ayant toujours raison. Il est grisé par sa capacité à improviser et à « avoir juste » malgré tout. Ce trait de la personnalité du président renforce beaucoup le sentiment qu’ont de nombreux Français d’être désormais en présence d’une République impériale.

 

Source : L’express

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